COSMéTO : MA PEAU, CET AUTRE CERVEAU

Si les liens entre la peau et le cerveau sont connus depuis longtemps, l’avancée des recherches ouvre de nouvelles voies d’action pour la cosmétique. On fait le point.

À l’origine, lors des premiers mois de la vie intra-utérine, la peau et le système nerveux ne font qu’un. Au fil du développement, la communication entre les deux n’est jamais rompue, neuromédiateurs et influx nerveux assurant le lien. Tout cela est connu, mais ce n’est qu’assez récemment que les mécanismes ont été vraiment objectivés (et il reste beaucoup d’inconnues). « À un moment, les allégations marketing en cosmétique allaient un peu vite par rapport à ce qui avait été établi scientifiquement. Dire qu’il y a un lien, c’est bien, mais la compréhension des mécanismes prend du temps », explique Arnaud Aubert, docteur en psychologie et neurosciences, directeur scientifique de la société EmoSpin. Les preuves se sont accumulées, et on peut aujourd’hui affirmer que le cerveau envoie bien des informations nerveuses qui sont reçues par la peau et qui peuvent en modifier l’état. « Inversement, la peau envoie des messages qui vont être captés par le cerveau et qui peuvent en modifier l’activité, notamment en termes d’émotions et d’humeurs », indique le spécialiste. Le mécanismes au sein de la peau elle-même se font aussi plus clairs, de quoi relancer l’inspiration du côté des labos et initier de nouveaux types de soins neurocosmétiques.

Neuromédiateurs et récepteurs sensoriels

© Paula Ziegler / Trunk Archive

« On sait que la peau a des récepteurs à neuromédiateurs mais aussi qu’elle peut produire elle-même ces substances – le cerveau n’est pas le seul à le faire –, endorphines, cortisol, Gaba, CGRP... », indique José Ginestar, directeur scientifique chez Sisley qui a travaillé sur le développement d’une toute nouvelle marque, Neuraé, qui s’appuie sur l’avancée des connaissances pour agir sur la peau via ces fameux neuromédiateurs cutanés. Exemple : lorsqu’on s’expose au soleil, les kératinocytes libèrent des béta-endorphines, « comme si la peau était addict au soleil ! », souligne Cyrille Telinge, fondateur de la marque Novexpert, dont l’actif breveté Novaxyline, présent dans tous les produits de la marque, possède cet effet booster de béta-endorphines, avec pour bénéfice cutané une baisse de l’inflammation. Qu’elle les produise elle-même ou qu’elle reçoive les messages du cerveau via ses récepteurs, la peau est directement impactée par ces molécules. Hormone du bien-être, la sérotonine améliore le renouvellement cellulaire, la cicatrisation. En revanche, l’excès de cortisol,  l’hormone du stress, réduit l’éclat du teint. « C’est pour cette raison qu’en cas de stress on a le teint plus terne. Un test clinique a démontré que l’inhibition de cette hormone au niveau cutané entraînait un gain de luminosité étonnant (+ 57 %) », commente Cyrille Telinge.

Parmi les molécules chimiques exprimées par les terminaisons nerveuses, on trouve la fameuse substance P, un médiateur pro-inflammatoire. La marque Phytomer a récemment mis en lumière son action sur les taches pigmentaires. « Plus il y a de substance P, plus les mélanocytes ont de dendrites – des sortes de bras – et plus ils peuvent délivrer de mélanine au niveau des cellules de l’épiderme et provoquer des taches pigmentaires », résume Céline Laperdrix, directrice de recherche et innovation Codif-Phy- tomer. La marque a développé un extrait de lys de mer (dans le Sérum OligoForce Advanced) pour réduire la pigmentation en agissant via la diminution de la substance P. À côté de ces molécules, d’autres messages circulent via les récepteurs cutanés des neurones sensitifs, qui transforment une information mécanique en influx nerveux, puis en perception sensorielle. Leur rôle ne s’arrête pas là. « Plus la peau a de récepteurs sensoriels opérationnels, plus elle est capable de bien se régénérer », souligne Virginie Avril, directrice marketing chez MyBlend, marque qui a intégré à sa Crème Régénérante un complexe de peptides qui protège ces récepteurs du stress oxydatif.

Déjouer les stigmates des émotions négatives

© Arno Cauchois

 La marque Neuraé s’est penchée sur les conséquences de nos vécus sur notre peau et a ainsi corrélé la fatigue à la perte de fermeté, la tristesse au manque d’éclat, le stress à l’apparition de rides et ridules. « Nous avons collaboré avec une société qui a créé un modèle de peau reconstruite avec cellules nerveuses – c’est extrêmement nouveau – pour tester l’efficacité de divers actifs sur la modulation des neuromédiateurs ayant des effets positifs ou négatifs sur la peau », explique José Ginestar. Shiseido, qui depuis long- temps s’intéresse aux connexions peau-cerveau et travaille textures et formules en ce sens, a récemment montré des effets sur l’un des neuromédiateurs présents dans la peau, l’ocytocyne. « Grâce à une collaboration avec le CBRC (Cutaneous Biology Research Center), nous avons découvert qu’un toucher doux sur la peau augmente la production de cette hormone, qui induit alors une activation de la régénération cutanée. Notre nouvel actif Alpinia speciosa (présent dans la Crème Vital Perfection Suprême Concentrée) augmente encore l’activité de l’ocytocyne en améliorant la réponse des cellules épidermiques à cette hormone », explique Nathalie Broussard, directrice de la communication scientifique chez Shiseido.

Stimuler le bien-être

Si agir sur le cerveau via les neuromédiateurs cutanés n’est pas dans les cordes de la cosmétique, elle peut le faire par le mode détourné que sont le toucher et l’odorat, via les récepteurs sensoriels. « Chez Neuraé, nous avons mené des tests cliniques très intéressants avec Gordy Pleyers, professeur de l’université de Louvain, coordinateur de Mind Insights, pour démontrer l’ac- tion de la texture et du parfum sur les émotions. J’insiste, on reste dans le domaine du bien-être et non du théra- peutique », souligne José Ginestar. La marque parle de neuro-parfums et de neuro-textures, capables de délivrer de la joie (L’Émulsion), de la sérénité (Le Baume) ou de l’énergie (La Crème). Par une action conjuguée entre les neuro-actifs et la sensorialité, Neuraé cerne l’impact de nos émotions négatives. Pour son Sérum CBD, la marque Yon-ka a mené de son côté un test de prosodie, c’est-à-dire d’étude de la voix – intonation, rythme, débit... –, l’une des expressions non verbales fortes des émotions. Après dix-huit jours d’utilisation du produit, la charge de stress vocal est fortement diminuée. La marque de parfums Amoi s’appuie sur l’odorat pour générer des émotions positives, bénéfice validé par une société indépendante spécialisée en neurosciences.

Prendre soin des peaux hypersensibles

Les spécialistes des peaux qui s’enflamment pour un rien s’intéressent de près au réseau neuronal cutané. L’augmentation de la réactivité des neurones sensitifs au stimuli et/ou l’abaissement de leur seuil d’excitabilité, associé à une barrière déficiente, seraient largement impliqués dans la sensibilité de la peau. Pour calmer le jeu, la marque Avène a développé pour la crème Tolérance Control un actif postbiotique, le D-Sensinose, qui vient bloquer le message sensoriel au niveau du neurone sensitif. Avec son nouveau Sérum Apaisant, Gallinée s’attaque à la sensibilité induite par le stress, dont les méfaits cutanés sont bien documentés scientifiquement : inflammation, rougeurs, métabolisme et renouvellement cellulaire ralentis, réduction de la synthèse des collagènes, altération de la barrière cutanée... et dans les cas les plus extrêmes, l’eczéma. « La fameuse origine psychosomatique est désignée à plus de 40 % comme facteur déclenchant dans la première crise de certains eczémas et à 80 % dans les crises suivantes », note Cyrille Telinge, qui rapporte une étude menée au Japon lors d’un tremblement de terre sur des personnes atteintes de dermatite atropique. Dans la zone la plus touchée, donc au niveau de stress maximal, l’incidence des crises a augmenté de plus de 400 %.

Le Sérum Apaisant de Gallinée rééquilibre le micro-biome cutané pour réparer et calmer la peau rapidement et durablement, tout en réduisant la libération d’un médiateur de l’inflammation. Le produit a montré des résultats allant au-delà de l’apaisement cutané. « Il agit sur les rougeurs, les tiraillements, la reconstitution de la barrière cutanée, mais aussi sur l’humeur. Les personnes se sentent plus calmes », s’enthousiasme Marie Drago, docteure en pharmacie, fondatrice de Gallinée.

Ne pas oublier le ventre

Un troisième acteur s’invite dans les discussions : notre ventre. « Le syndrome du côlon irritable, souvent mal diagnostiqué, serait lié à un dysfonctionnement de l’axe intestin-cerveau. L’anxiété nourrit les problèmes d’intestin et inversement. Cela forme un triangle avec la peau, car on sait que l’état mental impacte la peau et l’état cutané peut agir sur le cerveau et/ou sur l’intestin. Une étude réalisée sur des souris a montré qu’en grattant leur peau à l’aide d’un ruban adhésif, on déclenchait une perméabilité intesti- nale et des intolérances alimentaires », indique Marie Drago. Le but était d’analyser les liens entre la dermatite atopique et les allergies alimentaires. Le ménage à trois est complexe. Si l’un des trois dysfonctionne, les autres suivent ; si l’on veut en rééquilibrer un, il faut idéalement agir sur les trois. C’est ce constat qui a incité Marie Drago à lancer un complément alimentaire Calme & Micro- biome pour accompagner l’action de son sérum apaisant.

La perception émotionnelle au cœur de l’efficacité

Sans se revendiquer neuro-connecté, travailler la sensorialité des produits a pris une place prépondérante, car plus un produit nous plaît, plus il est efficace. L’interprétation émotionnelle qui est faite par le cerveau – cette texture est agréable, elle me paraît efficace – pro- voque des effets physiologiques qui impactent la performance du produit. « C’est l’effet placebo. Lorsqu’on adhère à un traitement, l’émotion posi- tive sous-jacente agit en synergie et améliore les effets », rappelle Arnaud Aubert. Prendre plaisir à appliquer une crème censée atténuer les rides, améliorer l’éclat, et croire à sa performance, c’est un supplément d’efficacité. « Quand on parle d’émotions, on parle de différences entre chaque personne, tout le monde ne perçoit pas les mêmes choses de la même façon, cela signifie qu’il n’y a pas une recette miracle universelle », conclut Arnaud Aubert. À chacun de trouver dans la diversité de l’offre les produits qui rem- plissent l’équation idéale pour soi.

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